
Le kiswahili était en honneur le vendredi 7 juillet 2023. La communauté internationale célèbre la journée dédiée à la langue swahili.
Kisangani comme son nom l’indique est une ville swahilophone. Malheureusement cette langue serait en perte de vitesse.
Au cours d’une interview accordée à depechesdelatshopo.com à l’occasion de la journée mondiale de la langue swahili, le professeur Jacques Riverain LOFEMBA, enseignant linguistique africaniste à l’université de Kisangani explique :
« Kisangani, c’est une ville cosmopolite, c’est une ville carrefour où on trouve une sorte de métissage culturel. Sur les six communes de cette ville, le swahili est identifié essentiellement dans la commune Kisangani et celle de Kabondo. Mais on sent que dans cette commune de Kisangani avec l’expansion de la ville, il y a le quartier appelé Cimestan. C’est un nouveau quartier qui se trouve dans la commune Kisangani mais habité à l’heure actuelle par la population « noble » dont les enfants parlent français et Lingala. Ainsi, même dans la commune Kisangani qui était jadis une commune essentiellement swahilophone, on sent que les gens qui parlent d’autres langues commencent à construire. Ce qui fait qu’à Kisangani ( commune), le swahili est en train de reculer, de perdre son aire linguistique connue depuis longtemps. »

Concernant l’appartenance de la province de la Tshopo, le professeur Jacques Riverain LOFEMBA qui est aussi Directeur Général de l’ISC Kisangani est précis : La province de la Tshopo peut être classée parmi les provinces swahilophones dans la mesure où il y a des territoires où le swahili se parle. Sur les 7 territoires de la province, on parle swahili dans les territoires de Banalia, d’ Ubundu et de Bafwasende ainsi que le territoire d’Isangi dans la partie riveraine ( du fleuve Congo) mais le reste de la province de la Tshopo est essentiellement lingalaphone. »
Pour qu’il n’y ait disparition de swahili à Kisangani, le professeur Jacques Riverain LOFEMBA encourage les parents à préserver la langue swahili. Parce que, affirme-t-il, la langue fait partie de notre identité. Il y a des gens qui s’appellent FURAHA, BALABALA. Ces noms sont puisés dans cette langue swahili. On ne peut trouver les explications sur le plan culturel qu’au travers cette langue. La langue est le véhicule de la culture, toute notre identité, la perdre et ne pas la transmettre aux enfants serait de l’acculturation, l’aliénation, une façon d’ignorer notre propre identité. Parce que le swahili fait partie intégrante de l’identité de la République Démocratique du Congo. Nous devons préserver cette langue, nous devons la transmettre à nos enfants, même si ces derniers parlent français, le Lingala et l’anglais, mais nous devons conserver notre langue swahili. »
Absence des centres d’apprentissage en langues africaines faute des linguistes africanistes formés

Parmi les moyens pour pérenniser la langue swahili, il y a la création des centres d’apprentissage. A ce sujet, le professeur Jacques Riverain LOFEMBA déplore le faible intérêt des parents d’envoyer leurs enfants poursuivre les études universitaires en langues africaines : Dans la ville de Kisangani, il n’y a pas tellement des centres d’apprentissage des langues. Même au niveau des filières qui organisent ces études linguistiques : Français – langues africaines à l’ISP Kisangani, lettres et civilisations africaines à l’université de Kisangani. Combien de parents orientent leurs enfants pour embrasser les études africanistiques et linguistiques ? Ça pose problème. Pour qu’il y ait des centres d’apprentissage des langues, il faut qu’il y ait des gens qui vont parler cette langue. Or parler une langue ne suffit pas pour l’enseigner correctement. La langue, c’est un tout cohérent, un système. On enseigne la grammaire de la langue, mais qui doit enseigner la grammaire de cette langue ? Ce sont des gens qui sont formés dans ces études linguistiques africanistiques. Nous sommes au nombre de combien des professeurs linguistes africanistiques dans la ville de Kisangani ? C’est à compter au bout de doigts. Et pour nous, en même temps, c’est un regret mais c’est aussi un motif de fierté. Parce que ce qui est rare coûte cher. Nous sommes très peu nombreux et nous devenons hyper sollicités. »

Le lingala livre bataille et gagne le terrain contre le swahili qui refuse de disparaitre en RDC.
Au cours de cet entretien avec depechesdelatshopo.com, le professeur Jacques Riverain LOFEMBA s’appesantit sur la tendance à la perte des aires swahilophones au profit du lingala : Ce qui explique la vitalité d’une langue, c’est le critère de la transmission inter générationnelle. Une langue vit lorsqu’elle est pratiquée par ses usagers, lorsqu’elle est parlée par de petits enfants. Le swahili continue à être transmis de génération en génération. Mais l’on doit aussi se dire que les langues competissent entre elles . Les langues entretiennent des relations diclociques ou conflictuelles. Il y a des langues qui supplantent les autres. Il y a des langues qui se trouvent dans une position dominante ou dominée.
Dans notre pays, la RDC, depuis un certain temps, nous sentons que le Lingala fait incursion dans les aires linguistiques swahilophones. Tandis que là où le Lingala se parle, le Lingala aurait tendance à s’imposer. Les trois autres langues nationales ne bousculent pas tellement le Lingala.
Mais là où le swahili se parle, les lingalaphones qui y vont ne se déplacent pas seulement avec les marchandises, les véhicules et autres. Ils se déplacent aussi avec leur outil de communication qui est le Lingala. Et de ce fait, le Lingala aurait tendance à supplanter la Kiswahili.
Mais les deux langues se trouvent dans une position de contact diclocique ou conflictuel. «
Et le professeur Jacques Riverain LOFEMBA de conclure : » Le swahili occupe la partie orientale du pays aux côtés d’autres pays limitrophes comme la Tanzanie qui est une nation essentiellement swahilophone, il est difficile que la langue swahili puisse perdre la quasi majorité de ses locuteurs. Parce qu’une langue ne peut pas disparaître totalement. Il y a toujours ce qu’on appelle les vestiges à travers les noms des lieux( la toponymie), les noms des hommes, ( anthroponymie) , les noms des montagnes, les noms des eaux ( hydronymie) et que sais-je encore. Donc, parler de la perte totale ou de la disparition de la langue swahili dans notre pays, c’est un évènement qui n’arrivera pas. Mais on est en train plutôt de connaître une frange de la population qui devient de plus en plus polyglotte, donc parler deux, trois , quatre langues, c’est un avantage que de rester monologue ».
FROK